Les Mémoires Sont-elles Réelles ? Psychologie des Traumatisme et des Souvenirs Refoulés
Les souvenirs, que nous percevons comme les éléments constitutifs de notre identité, sont au cœur de la manière dont nous comprenons le monde qui nous entoure. Pourtant, cette perception de la réalité est-elle vraiment fidèle à ce qui s’est passé ? La mémoire humaine, aussi fascinante que complexe, peut parfois se révéler être un terrain mouvant où les perceptions et les événements vécus se mélangent. La psychologie des traumatismes et des souvenirs refoulés offre des perspectives intrigantes sur la façon dont nos mémoires peuvent être façonnées, modifiées, voire altérées, par des événements traumatiques.
La Mémoire : Un Processus Malléable
La mémoire n’est pas une simple reproduction fidèle d’événements passés, mais un processus actif de reconstruction. Lorsqu’un événement se produit, notre cerveau l’enregistre sous forme de souvenirs, mais cette inscription est loin d’être parfaite. Les recherches en psychologie cognitive ont montré que nos mémoires sont influencées par de nombreux facteurs, notamment les émotions, les contextes sociaux et culturels, ainsi que notre propre état psychologique au moment de l’événement. Ainsi, la mémoire n’est pas un enregistrement vidéo de notre vie, mais plutôt une reconstitution, une narration qui peut évoluer au fil du temps.
Les scientifiques de la mémoire ont mis en évidence le phénomène de la reconstruction mémorielle, où des éléments extérieurs, des discussions avec d’autres, ou même des influences internes telles que nos croyances et attentes, peuvent altérer notre souvenir d’un événement passé. Cela a conduit à une compréhension plus nuancée de la mémoire, la qualifiant non pas d’un processus passif, mais d’un mécanisme actif et dynamique, susceptible de se modifier avec le temps.
Les Souvenirs Refoulés : Une Définition et un Phénomène Complexe
Les souvenirs refoulés, également appelés souvenirs dissociés, sont des événements ou des expériences qui ont été oubliés de manière inconsciente en raison de leur nature traumatique ou douloureuse. Ces souvenirs peuvent inclure des événements d’enfance, des agressions sexuelles, des accidents graves, ou d’autres formes de traumatismes émotionnels et psychologiques. Freud, le père de la psychanalyse, a été l’un des premiers à théoriser sur les mécanismes du refoulement, suggérant que l’esprit humain a tendance à repousser les souvenirs liés à des émotions trop intenses ou perturbatrices afin de protéger l’individu d’une souffrance insupportable.
Cependant, ce concept a été largement débattu au sein de la psychologie contemporaine. Certaines études suggèrent que ces souvenirs refoulés peuvent réémerger sous forme de flashbacks, de rêves ou de symptômes physiques et émotionnels, tandis que d’autres remettent en question l’idée même que les souvenirs peuvent être totalement refoulés et exister dans un état latent. La question demeure : comment pouvons-nous être sûrs qu’un souvenir refoulé est réellement un événement que notre esprit a effacé, plutôt qu’une reconstruction du passé, parfois modifiée par des interprétations ou des influences extérieures ?
Les Traumatismes et Leur Impact sur la Mémoire
Les traumatismes, qu’ils soient physiques, émotionnels ou psychologiques, peuvent avoir un impact profond sur la mémoire. Un traumatisme peut altérer la manière dont un événement est enregistré, stocké et rappelé par le cerveau. La mémoire des traumatismes est souvent fragmentée, ce qui peut rendre la reconstruction de l’événement plus difficile et imprécise. Cela explique pourquoi les victimes de traumatismes, tels que les violences physiques, sexuelles ou psychologiques, peuvent se retrouver avec des souvenirs décousus ou incohérents de ce qu’elles ont vécu.
Une théorie fréquemment évoquée est celle de l’amnésie traumatique, selon laquelle certaines personnes, dans un état de choc ou de stress intense, peuvent perdre partiellement ou complètement la mémoire des événements traumatisants. Cette amnésie peut durer des jours, des mois, voire des années, avant que le souvenir ne resurgisse sous une forme différente ou après une thérapie psychologique. L’émergence d’un souvenir refoulé, souvent après des années, peut se produire sous forme de flashbacks, d’anxiété intense, de troubles du sommeil ou de comportements compulsifs.
Les recherches sur le stress post-traumatique (SPT) ont également démontré que les souvenirs liés à des événements traumatiques sont souvent traités différemment des autres souvenirs. Les personnes souffrant de SPT peuvent revivre des événements passés de manière intrusive, leur mémoire du traumatisme étant souvent associée à des réponses physiologiques intenses, comme la peur ou la panique. Ces souvenirs peuvent être plus vifs, plus détaillés et souvent plus désorganisés que les souvenirs des événements quotidiens.
La Construction des Souvenirs : Les Récits Imaginés et les Fissures de la Réalité
Il est aussi important de considérer le phénomène des faux souvenirs, où une personne peut se rappeler un événement qui ne s’est jamais produit ou se souvenir d’un événement de manière profondément déformée. Les faux souvenirs peuvent émerger dans des contextes thérapeutiques, lors de séances où le patient explore des souvenirs refoulés. Des suggestions externes, des interrogations suggestives, ou même la pression psychologique peuvent amener une personne à « se souvenir » de quelque chose qui, en réalité, n’a jamais eu lieu.
Le psychologue Elizabeth Loftus a mené des recherches pionnières dans ce domaine et a démontré comment des souvenirs fabriqués peuvent être implantés dans l’esprit d’une personne par des processus simples comme la suggestion. Ces expériences montrent que la mémoire n’est pas une image fixe, mais un tissu de récits qui peut se modifier au gré des influences extérieures.
Les Implications de la Compréhension des Souvenirs Refoulés et Traumatiques
Les implications de cette compréhension des souvenirs sont vastes, en particulier dans le contexte thérapeutique. La prise en charge des traumatismes et des souvenirs refoulés requiert une approche délicate et nuancée. Dans certaines situations, tenter de « retrouver » des souvenirs refoulés peut avoir des conséquences contre-productives, en provoquant des faux souvenirs ou en exacerbant la souffrance de l’individu.
La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) et les techniques de désensibilisation et de retraitement par les mouvements oculaires (EMDR) se sont révélées efficaces dans le traitement des souvenirs traumatiques. Ces méthodes visent à réduire l’impact émotionnel des souvenirs, sans nécessairement chercher à les « ressusciter » ou à les « revivre ». Le travail thérapeutique repose sur l’idée que l’intégration des souvenirs traumatiques dans un contexte plus large de vie personnelle permet de diminuer leur pouvoir sur la vie de l’individu.
La Mémoire et la Construction de l’Identité
Les souvenirs jouent un rôle crucial dans la construction de notre identité personnelle. Ce que nous nous rappelons, la manière dont nous interprétons ces événements, et les significations que nous leur attribuons contribuent à façonner notre perception de nous-mêmes. Les souvenirs refoulés ou modifiés peuvent donc influencer profondément notre compréhension de nous-mêmes et de notre passé. Ils peuvent être à l’origine de troubles identitaires, de conflits internes et de comportements d’évitement, qui surgissent souvent en réponse à des souvenirs douloureux ou inconscients.
L’un des grands défis de la psychologie est de comprendre comment réconcilier cette fluidité de la mémoire avec la nécessité d’une identité stable et cohérente. La mémoire, bien qu’imparfaite, nous offre une structure à partir de laquelle nous construisons notre histoire personnelle. Mais lorsqu’elle est altérée par des traumatismes non résolus ou des souvenirs manipulés, elle peut créer un fossé entre la réalité vécue et celle interprétée.
Conclusion
Les souvenirs ne sont pas des archives inaltérables de notre vie, mais des constructions malléables qui évoluent avec le temps. Les traumatismes, le refoulement et la reconstruction de la mémoire ouvrent un vaste champ d’investigation en psychologie, où la réalité des souvenirs se trouve souvent en question. Ce domaine soulève des interrogations essentielles non seulement sur la nature de la mémoire, mais aussi sur la manière dont elle façonne notre identité et notre rapport au monde. Les enjeux sont d’autant plus importants dans le cadre thérapeutique, où la vérité des souvenirs peut être aussi complexe que la réalité des émotions qu’ils véhiculent.