Civilisations

La tolérance dans la Jahiliyyah

Le tolérance dans l’ère préislamique (Jahiliyyah)

La période de la Jahiliyyah, ou ère préislamique, fait référence à la période précédant l’apparition de l’Islam au VIIe siècle. Bien que cette époque soit souvent dépeinte comme une époque de barbarie et de sauvagerie, notamment en raison de la pratique des guerres tribales incessantes et des rituels idolâtres, il existe néanmoins des aspects de la vie sociale et culturelle qui témoignent d’une forme de tolérance, bien qu’elle soit limitée et parfois ambiguë. Ce concept de tolérance dans la société arabe préislamique mérite une attention particulière, car il permet de comprendre les bases sociales et les mentalités qui ont évolué avec l’Islam.

La structure tribale et la tolérance

La société préislamique arabe était principalement organisée en tribus, qui jouaient un rôle central dans la vie politique, sociale et économique. Les tribus étaient des entités fermées, avec des règles et des traditions bien définies. Chaque tribu avait son propre chef, et les conflits tribaux étaient fréquents. Cependant, cette organisation tribale, bien que fondée sur des principes de compétition et parfois de violence, permettait également une forme de tolérance au sein des frontières de chaque tribu.

Les tribus arabes étaient, en grande partie, polytheistes, avec un panthéon riche de dieux et de déesses. Cependant, malgré cette diversité religieuse, un certain respect était accordé à la liberté de culte tant que celle-ci ne menaçait pas l’unité ou la stabilité de la tribu. L’idolâtrie et les rituels religieux étaient en effet pratiqués de manière variée, mais avec un consensus tacite sur le droit de chaque groupe de suivre ses croyances sans interférer dans les croyances des autres tribus. Ce respect mutuel des croyances tribales, bien qu’il puisse être perçu comme un compromis plus que comme une véritable tolérance, représente néanmoins un exemple de coexistence pacifique.

La tolérance intertribale

Au-delà de la sphère religieuse, la tolérance dans la société préislamique arabe se manifeste également dans les relations entre différentes tribus, bien que celles-ci soient souvent marquées par des conflits. En dépit des guerres fréquentes, il existait des codes de conduite qui encourageaient le respect des alliances et des accords intertribaux. Les traités de paix, les pactes commerciaux et les alliances matrimoniales étaient des exemples où la tolérance pragmatique était de mise. Par exemple, une tribu en guerre pouvait conclure une trêve avec une autre tribu, et cette trêve serait respectée, même si la guerre reprenait après son expiration.

Cela montre qu’il existait une forme de tolérance pratique, où les intérêts politiques, économiques et sociaux prenaient le pas sur les différends et les rivalités tribales. Toutefois, cette tolérance était essentiellement motivée par des raisons utilitaires, et non par une reconnaissance de la valeur des différences culturelles ou idéologiques. Le respect de la parole donnée ou des pactes n’était pas fondé sur des principes d’égalité ou de reconnaissance des droits des autres, mais plutôt sur des considérations pragmatiques, voire sur la nécessité d’assurer une paix temporaire pour survivre dans un environnement instable.

La tolérance et l’accueil des étrangers

Un autre aspect de la tolérance dans la période préislamique est la manière dont les Arabes accueillaient les étrangers, bien que cela varie selon les régions et les tribus. Les marchands, les voyageurs, ainsi que les communautés juives et chrétiennes qui vivaient en Arabie, notamment à Yathrib (plus tard connue sous le nom de Médine), bénéficiaient généralement d’une certaine hospitalité. Les codes d’hospitalité arabes étaient très développés et étaient essentiels dans la culture arabe de l’époque. Un invité, qu’il soit musulman, juif, chrétien ou d’une autre origine, était protégé par la tribu qui l’accueillait, et cette protection allait au-delà des différences religieuses ou ethniques.

Il est important de souligner que l’accueil des étrangers n’était pas toujours exempt de préjugés. Les étrangers, en particulier ceux qui ne venaient pas de la région arabe, pouvaient être perçus avec méfiance. Cependant, l’hospitalité était un principe fondamental de la culture bédouine et arabe, ce qui montre qu’il existait une forme de tolérance basée sur des codes sociaux qui régissaient les interactions interpersonnelles, indépendamment des appartenances religieuses.

La place des femmes et la tolérance sociale

La question du statut des femmes dans la société préislamique est souvent abordée sous l’angle de l’oppression et de la marginalisation. En effet, dans de nombreuses tribus, les femmes étaient considérées comme des biens, avec peu de droits et une liberté limitée. Cependant, il existe des exemples où des femmes occupaient des positions de pouvoir et d’influence, ce qui suggère une forme de tolérance sociale, bien que restreinte.

Certaines tribus arabes, par exemple, permettaient aux femmes de participer activement à la vie publique, notamment à travers des rôles d’intermédiaires diplomatiques, ou en tant que poètes ou conseillères politiques. Ce genre de tolérance, bien que marginal, montre qu’il existait une reconnaissance des capacités des femmes dans certains secteurs de la société. Néanmoins, cette tolérance était bien loin d’être universelle et était souvent conditionnée par les structures patriarcales dominantes qui régnaient à l’époque.

La tolérance dans la poésie et la culture

La poésie occupe une place centrale dans la culture de la Jahiliyyah. Les poètes étaient respectés, parfois même considérés comme des voix de sagesse et des porte-parole de leur tribu. Cette poésie, en grande partie consacrée à la guerre, à l’honneur, à l’amour et à la beauté, témoignait aussi de la coexistence de différentes philosophies et croyances. Certaines œuvres poétiques, par exemple, exprimaient des vues pacifiques et tolérantes, prônant l’unité entre les tribus et la réconciliation après les conflits.

Les poètes, tout en restant souvent des membres d’une tribu particulière, écrivaient parfois en l’honneur de leurs adversaires, exprimant ainsi une forme de respect mutuel au-delà des animosités tribales. Cette forme de tolérance intellectuelle et artistique, bien que sporadique, illustre l’existence de courants de pensée dans la culture arabe préislamique qui valorisaient le dialogue et la compréhension entre différents groupes.

Conclusion

Bien que la période de la Jahiliyyah soit souvent caractérisée par des pratiques et des normes sociales qui paraissent contraires aux idéaux modernes de tolérance, il est important de nuancer cette vision. La tolérance dans l’Arabie préislamique n’était pas fondée sur des principes universels de respect et d’égalité, mais plutôt sur des stratégies pragmatiques qui permettaient une coexistence partielle entre les tribus, les croyances et les pratiques sociales. Ces formes de tolérance étaient souvent limitées à des contextes spécifiques et n’étaient pas généralisées à l’ensemble de la société. Elles étaient cependant essentielles pour comprendre l’évolution des valeurs sociales qui ont donné naissance à l’Islam et à ses principes de tolérance universelle et de respect des autres cultures et religions.

La compréhension de ces nuances historiques permet d’apprécier non seulement les origines de l’Islam, mais aussi l’évolution de la pensée et des valeurs de tolérance dans le monde arabe, valeurs qui sont toujours pertinentes dans les débats contemporains sur la coexistence pacifique entre différentes communautés.

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