Les Manifestations de l’Environnement dans la Société Préislamique (Jahiliya)
La période de la Jahiliya, communément traduite par « époque de l’ignorance », désigne l’ère précédant l’avènement de l’Islam dans la péninsule arabique. Ce terme revêt une connotation particulière dans la culture islamique, évoquant une époque marquée par des pratiques considérées comme archaïques et contraires aux valeurs islamiques ultérieures. Cependant, au-delà de cette dimension morale, la Jahiliya était une période riche en complexité culturelle, sociale, et environnementale. Cet article se propose d’explorer les diverses manifestations de l’environnement dans la société préislamique, en se concentrant sur la nature, le climat, les ressources naturelles, ainsi que leur impact sur les modes de vie des tribus arabes.
1. Le Climat et la Géographie : Définisseurs du Mode de Vie
La péninsule arabique est une région vaste et principalement désertique. Le climat aride, caractérisé par des températures extrêmes, des précipitations rares et irrégulières, a façonné les conditions de vie des habitants. Le désert d’Arabie, notamment le Rub al-Khali (le « Quart Vide »), est l’une des plus vastes étendues désertiques du monde. Cette géographie imposante a eu une influence majeure sur le développement des sociétés locales.

Les déserts et les montagnes ont servi à la fois de barrières naturelles et de refuges. Les montagnes de Hijaz, longeant la côte occidentale, offraient des zones plus hospitalières avec des pluies occasionnelles favorisant l’agriculture. En revanche, la majorité des habitants vivaient dans des plaines désertiques, rendant l’accès à l’eau une question cruciale. Les oasis telles que celles de Yathrib (aujourd’hui Médine) et de Taïf étaient des centres vitaux pour la survie et le commerce.
2. L’Eau, une Ressource Vitale et Précieuse
Dans un environnement aride, l’eau était considérée comme la ressource la plus précieuse. Les rares sources d’eau douce étaient situées principalement dans des oasis, des puits et des wadis (vallées asséchées qui se remplissent temporairement après les pluies). La gestion de cette ressource cruciale était un facteur déterminant dans l’établissement des tribus.
Les systèmes de collecte d’eau, bien que rudimentaires, étaient essentiels. Les Arabes de la Jahiliya utilisaient des techniques ingénieuses pour stocker l’eau, telles que la construction de citernes et de canaux d’irrigation, principalement dans les régions plus hospitalières. Par exemple, la ville de Yémen (particulièrement Ma’rib) était célèbre pour son barrage, une prouesse d’ingénierie qui permettait l’agriculture dans une zone autrement aride.
L’accès à l’eau déterminait également les routes commerciales. Les caravanes de chameaux, transportant des marchandises telles que l’encens, les épices, et les textiles, devaient planifier leurs itinéraires en fonction des points d’eau disponibles, ce qui a contribué à l’émergence de villes marchandes prospères comme La Mecque.
3. La Faune et la Flore : Adaptation et Résilience
La faune et la flore de l’Arabie préislamique étaient adaptées aux conditions extrêmes du désert. Les plantes comme les acacias, les tamaris et les palmiers-dattiers prospéraient dans ce climat, fournissant des matériaux pour la construction, l’alimentation, et même des remèdes médicinaux.
Les animaux tels que les chameaux, essentiels à la survie des nomades, étaient parfaitement adaptés aux rigueurs du désert. Le chameau, surnommé « le navire du désert », pouvait survivre de longues périodes sans eau et portait des charges lourdes, facilitant le commerce et la mobilité. Les moutons, les chèvres et, dans une moindre mesure, les chevaux, étaient également cruciaux pour les tribus, fournissant du lait, de la viande, et des peaux.
La chasse faisait partie intégrante de la culture bédouine. Les Arabes traquaient le gibier tel que l’antilope, le lièvre et les oiseaux migrateurs pour compléter leur régime alimentaire. Toutefois, la faune était généralement respectée, et certaines tribus observaient des règles implicites pour préserver ces ressources précieuses.
4. Les Ressources Minérales : Richesses Cachées de l’Arabie
Bien que souvent perçue comme une terre stérile, l’Arabie préislamique possédait des ressources minérales précieuses. Les anciens Arabes exploitaient des mines de cuivre, d’or et de fer, bien que ces activités restaient limitées par rapport aux civilisations voisines telles que l’Égypte ou la Mésopotamie.
L’encens et la myrrhe, deux des produits les plus célèbres de la région, étaient largement exportés vers les empires romain et perse, jouant un rôle central dans l’économie préislamique. Ces résines, extraites des arbres de Boswellia et de Commiphora, étaient utilisées dans les rites religieux, la médecine, et les pratiques funéraires.
5. L’Impact de l’Environnement sur la Structure Sociale
La dureté du climat désertique a forgé un esprit de résilience et de solidarité parmi les tribus arabes. La vie nomade, dictée par la recherche de pâturages et d’eau, a favorisé une structure tribale fondée sur des liens de parenté. Chaque tribu formait une unité autonome, dirigée par un chef (shaykh) dont l’autorité reposait sur la sagesse, la générosité, et la bravoure.
Les poètes bédouins jouaient un rôle crucial dans la préservation des histoires tribales, des valeurs, et des codes d’honneur. Leurs œuvres reflétaient souvent l’admiration pour la nature, décrivant la beauté des dunes, la majesté des oasis, et les défis du désert. Ainsi, la poésie était à la fois un divertissement et un moyen de transmettre des leçons de survie et d’éthique.
6. Les Pratiques Religieuses et le Lien avec la Nature
Avant l’Islam, les Arabes de la Jahiliya suivaient une variété de croyances religieuses, allant du polythéisme à des formes de monothéisme influencées par le judaïsme et le christianisme. Le culte des divinités locales était souvent associé à des éléments naturels comme les étoiles, les montagnes, et les arbres sacrés. La Kaaba, à La Mecque, abritait plusieurs idoles, et était déjà un centre de pèlerinage avant l’arrivée de l’Islam.
Les sanctuaires naturels, tels que les sources et les grottes, étaient également des lieux de vénération. Les Arabes croyaient que certains lieux étaient habités par des esprits ou des djinns, et ces croyances influençaient leur interaction avec l’environnement.
7. Conclusion : Héritage de la Jahiliya
La période de la Jahiliya, bien que marquée par des pratiques que l’Islam cherchera à transformer, a laissé un héritage profond sur le développement culturel et social des Arabes. L’environnement rigoureux de la péninsule arabique a façonné une civilisation unique, résiliente et adaptable. Les Arabes préislamiques ont développé des systèmes ingénieux pour surmonter les défis posés par leur milieu, que ce soit à travers la gestion des ressources en eau, l’élevage de bétail, ou le commerce à travers des routes caravanières.
L’étude de cette époque nous offre un aperçu précieux sur la manière dont les sociétés humaines s’adaptent à leur environnement, et sur la manière dont les valeurs culturelles et sociales émergent de cette interaction complexe. Si l’Islam a radicalement transformé les croyances et les pratiques des Arabes, il a également hérité de nombreux aspects de la culture et de la sagesse environnementale de la Jahiliya, contribuant ainsi à forger une civilisation riche et durable.